L’Association François Coty est heureuse de présenter la lauréate de la 13e édition du Prix François Coty, Shyamala Maisondieu, parfumeur chez Givaudan.

Michel Almairac, de la maison Robertet, reçoit le Prix d’honneur, le trophée Lalique lui est remis par Christine Nagel et Annick Ménardo.

Shyamala Maisondieu répond aux questions de l’Association François Coty.

Le Prix François Coty récompense un parfumeur pour sa signature. La vôtre s’exprime-t-elle consciemment ? Pourriez-vous la décrire ou parler de votre intention en tant qu’auteur derrière vos créations ?

C’est une question que je me pose assez souvent et que je pose aussi à mes collaborateurs. Je ne cherche pas à créer une signature, par contre ma démarche est toujours de créer quelque chose de nouveau. J’aime travailler avec des matières premières et je pense que c’est ce choix qui signe un parfum, déterminé par mon passé, mes émotions, mon histoire. Je pense que c’est cette alchimie qui créé la signature. Nous les parfumeurs avons tendance à favoriser des matières premières plus que d’autres ou certaines combinaisons et c’est peut-être un début de signature.

Lorsque vous créez un parfum, vous représentez-vous la personne qui le portera ? Quel type d’histoire construisez-vous? Donneriez-vous un exemple ? Celle de Charogne ?

Pour moi il y a plusieurs façons de créer un parfum, parfois mes muses sont les matières premières parfois ce sont des personnages.
Run Free c’était au départ l’idée d’un parfum pour un ami proche. Il adorait les parfums Hermès, il était aussi très jeune, trendy et dandy! J’ai imaginé pour lui une nouvelle cologne classique mais avec des matières premières plus modernes. Charogne est inspiré par le poème de Baudelaire. À l’époque, Étienne de Schwartz cherchait un parfumeur pour le créer, personne ne voulait s’attaquer à cette idée car le mot charogne est associé à une odeur déplaisante. N’ayant pas grandi en France et n’étant pas francophone, je n’avais pas cette appréhension. L’idée était donc de se concentrer sur quelque chose de poétique et travailler sur le texte des Fleurs du mal de Baudelaire. Je me suis plongée dans ce poème et c’est surtout les mots qui m’ont inspiré, il y avait dans l’écriture des oppositions qui m’ont parlé. Il y a aussi l’idée de mort représentée par une fleur. Une fleur en décomposition. C’était le lys, mais fané.

Avez-vous un point de vue sur la nature des matières premières, synthétiques ou naturelles – hors contexte économique?

Les matières premières sont mes amies, je continue à les apprendre et j’essaie de comprendre leur personnalité. J’ai besoin de bien les connaître avant de pouvoir les associer. De savoir comment elles peuvent changer selon le contexte et comment elles réagissent entre elles. J’aime autant les naturelles que les synthétiques. Il y a de très jolies matières premières synthétiques, elles sont indispensables pour sublimer les matières premières naturelles.

Dans votre parcours, comment avez-vous fait évoluer votre niveau d’exigence par rapport à la création ? Vouez-vous une admiration particulière à un parfumeur ou à une époque ? Et pourquoi ?

J’admire beaucoup de parfumeurs bien sûr mais j’apprends vraiment avec mes collègues et auprès de mes clients. Quand j’ai commencé, j’ai eu l’énorme chance de travailler avec Karyn Khoury (chez Estée Lauder, qui a fait le succès de Tom Ford et Pleasures avant cela). C’est vraiment quelqu’un que j’admire énormément. Karyn laisse les parfumeurs exprimer toute leur créativité mais en étant très exigeante sur la performance technique.Le travail avec l’équipe de cellule olfactive chez L’Oréal m’a aussi énormément appris.Karine Lebret est quelqu’un qui possède une vision et j’admire cela chez elle. Le travail en continu avec son équipe pendant 4 ans pour le developpement de Idole était très intense avec un niveau d’exigence très élevé, j’ai appris beaucoup.

Quelle place donnez vous à l’émotion ? Est-ce un moteur de création ou bien une quête, comme une finalité ?

Je donne énormément de place à l’émotion. C’est un vecteur essentiel. Je crois sincèrement qu’un parfum se faisant avec de l’amour, de la passion et de la joie sera un bon parfum. Même la tristesse est une bonne émotion. De la même façon qu’une chanson peut être gaie ou triste, les deux peuvent être émouvants. Je cherche toujours l’harmonie entre les personnes avec qui je travaille. J’en ai besoin pour bien me sentir quand je fais un parfum. C’est vital dans le sens où je suis convaincue que les pensées négatives peuvent nuire à l’harmonie d’un parfum.Pour moi l’émotion est aussi importante que les ingrédients dans mes compositions. C’est invisible. En fait c’est l’ingrédient magique.

Quelle étape vous procure le plus de plaisir dans l’élaboration d’un parfum ?

Question difficile car chaque projet est différent. C’est sûrement le début et la fin. Le début, quand j’arrive à mélanger trois différentes matières premières qui créent l’accord nouveau ou différent, parfois cela sent bon, parfois ce n’est pas le cas. Puis il y a le moment où le client vous annonce que le parfum est gagné. Que les mois de travail vont être compensés par un parfum dans une bouteille. Il y a aussi le moment où un parfum est lancé, c’est aussi un moment fort de voir le résultat final. Un autre est lorsque je sens mon parfum sur un inconnu, ou quelqu’un qui porte un parfum sans savoir que c’est moi qui l’a créé!

Michel Almairac répond aux questions de l’Association François Coty.

Comment avez-vous pris conscience que l’olfaction allait prendre une telle place dans votre vie ?

Je ne pense pas que cette prise de conscience se soit faite sur un instant en particulier. Je dirais plutôt que cela s’est fait naturellement, au fur et à mesure des périodes de ma vie. Les champs de roses de mon enfance, des rencontres humaines fortes, des atmosphères créatives qui m’entourent, ma passion continue d’être alimentée au quotidien.

Quel autre sens participe à votre inspiration ?

Tous les sens participent à la création. Ce qui est passionnant avec le métier de parfumeur c’est que l’inspiration est sensible à tous ce qui vous entoure. Une image, un livre, un film, un plat, un paysage… Le parfum est une empreinte olfactive qui s’écrit sur ses interactions uniques avec notre environnement.

Travaillez-vous en musique ?

La musique n’est pas un élément qui m’entoure forcément dans le processus de création d’une fragrance, même si j’en écoute souvent.

Quelle étape vous procure le plus de plaisir dans l’élaboration d’un parfum ?

Ce que j’aime le plus c’est ce moment où apparaît la signature de la fragrance. Cet instant où la combinaison unique entre les matières premières qui s’entremêlent révèle l’identité recherchée de la note.

Le Prix d’honneur François Coty récompense un parfumeur dont le talent et le travail ont contribué à la richesse et à l’avancée de la création olfactive. Parlez-nous de votre exigence par rapport à la création :

Cette exigence partage mon quotidien. Avec les années je dirais que je ne considère pas cela comme une exigence mais comme ma manière de vivre et de m’exprimer en tant que parfumeur. Il ne se passe pas un moment où je ne m’imprègne pas des éléments créatifs qui m’entourent.

Pensez-vous qu’un parfum puisse se
démoder ?

La mémoire olfactive est une des plus importante. Elle réveille des souvenirs ancrés dans l’enfance. Je pense qu’un parfum ne se démode pas dès lors qu’il est connecté avec un moment clé de votre vie.

Vous arrive-t-il de ressentir une sorte de lassitude olfactive ou à l’opposé d’être surpris par une odeur ?

J’ai la chance de toujours travailler en étroite collaboration avec l’ensemble des marques, qui ont des univers multiples. Ces connexions me transportent d’une histoire à une autre avec des spécificités et des codes uniques à respecter. Ce travail d’interprétation est passionnant et requiert une remise en question régulière qui sort de la routine. De plus, la nature ne nous a pas révélé tous ses secrets. Je travaille dans une société où les matières premières naturelles sont une source illimitée de créativité et me donnent accès à une palette d’ingrédients qui m’inspire et me passionne au quotidien.

Que vous semble-t-il essentiel de transmettre dans le métier de parfumeur ?

Je transmets une méthode, une technique  que j’utilise au quotidien. La connaissance des matières premières, les réactions entre elles, les accords qui en découlent personne ne peut vous l’apprendre, la création est un travail tout à fait personnel.

Vous parfumez-vous ?

Je crée des formules courtes où chaque ingrédient doit avoir un sens, un impact et une fonction précise tout au long de l’évolution de la fragrance. Ce travail me demande de la concentration et un engagement total dans l’analyse olfactive de la création. Porter un parfum pourrait interférer mon point de vue. Voilà pourquoi je me parfume uniquement lorsque je suis en vacances.